Avant-propos



Cela fait un moment que  je souhaite écrire l’histoire de Mathias. A vrai dire, je ne sais pas à quoi cela peut me servir maintenant. Et c’est précisément ce qui explique que je ne m’y sois pas mis plus tôt. Je suis hanté par ce qui s’est passé ; par ce qui lui est arrivé, bien sûr, mais aussi par le chemin tortueux qu’il a emprunté pour en arriver-là. Je suis hanté et fasciné. Cela me fait penser à Emmanuel Carrère et son livre L’adversaire. Il y avait dans ce récit le même lien entre l’auteur et son sujet que celui qui m’a attaché à Mathias. J’y vois le même besoin de vampiriser l’autre, de procéder à une sorte de vivisection, pour comprendre la mécanique qui a régi son action, et d’en questionner ainsi ma propre incapacité à agir. Et comme Emmanuel Carrère, je me comporte comme un enfant. Je me mets un peu sous la coupe de mon sujet — Jean-Claude Romand pour lui, Mathias Kindelis pour moi —  et je veux le suivre bien qu’il me fasse peur. Il m’a entraîné comme un grand frère malsain sait le faire : par un savant dosage de séduction et d’intimidation. En retour, j’utilise l’arme du frère cadet, c’est-à-dire l’arme du faible. Je lui suce la moelle pour lui prendre ce que, au-delà de sa faillite, j’assimile à une forme de génie. Et de manière toute aussi enfantine, j’espère ainsi être pardonné.