Chapitre 17


La rupture est intervenue le 14 février. Je m’en souviens parce qu’on entendait en boucle des pubs radio sur la Saint Valentin. La plupart des copains étaient absents. C’était la période des vacances scolaires. Une période douloureuse pour Mathias car elle lui rappelait qu’il n’avait su prendre le train familial en marche. Je le trouvais de plus en plus irascible. Tout le monde avait droit à sa volée de bois verts. Nous continuions nos escapades, nos petits films d’amateurs, mais quelque chose ne fonctionnait déjà plus. Il faut croire que trois ou quatre semaines de ce régime, aux ingrédients inavouables, étaient suffisantes.

La dernière soirée Double à laquelle il m’a été donné d’assister a démarré comme toutes les autres. Mathias avait convaincu une femme en quelques minutes à peine. Peu prolixe, ne s’exprimant pas très bien, elle avait accédé à toutes les demandes de Soupiran des îles. Elle avait seulement insisté pour que le rendez-vous ne fut pas trop loin de chez elle, vers le quartier d’affaire du grand Ouest. Résultat : nous nous étions tous retrouvé sous un échangeur auto-routier, à deux pas d’une immense gare routière d’où partaient les cars pour les banlieues dortoir. A ma surprise, et je suppose à la sienne, Mathias a été abordé par une vieille femme. Tout s’est passé très vite. Cheveux décolorés avec des racines grises, maquillage outrancier, la vieille s’est mise à genoux en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Mathias lui a saisi les cheveux et l’a obligée à le sucer, puis il l’a retournée et l’a pénétrée sans ménagement. Doudoune toujours sur les épaules et pantalon baissé, il n’a fait que trois ou quatre va et vient et s’est retiré. La femme a émis une longue plainte. Il a remonté son pantalon et s’est retourné pour s’en aller, la laissant là, fesses à l’aire sur le gravât, gémissant doucement, comme un chaton d’un jour. L’abdication totale de cette femme l’avait mis hors de lui. Dans ce genre de rencontre, la règle tacite était qu’aucun des deux protagonistes ne devait perdre sa dignité. Personne ne devait inviter sa misère au rendez-vous. Sinon, apparaissaient au grand jour les béances, que des caresses fugitives ne pouvaient résorber. Cela disqualifiait tout le dispositif.

            Surpris par son volte-face, je me suis un peu emmêlé les pinceaux avec la caméra. Le temps de la rentrer dans son étui, de contourner les deux bus sans pneus qui étaient abandonnés en bordure du terrain vague et je n’ai pu que constater l’impensable : il ne m’avait pas attendu. Lorsque je suis arrivé au bord du talus qui surplombait la voie rapide, j’ai vu la Subaru orange démarrer en trombe et rejoindre la circulation clairsemée de cette fin de soirée. Je me suis dit qu’il n’était jamais content, qu’il ne supportait ni les amazones ni les souffre-douleur. Je l’ai regardé s’éloigner, et me suis senti relégué dans le camp de la vieille dame qui, derrière moi, devait être en train de se rhabiller gauchement.
            Ma tête s’est remise à me faire mal.