Chapitre 25


         Lorsque je me suis réveillé, il faisait sombre dans l’appartement, mais on voyait la lueur de l’aube poindre dans les deux lucarnes de la cuisine. Je sentais des courbatures partout dans mon corps, comme si j’étais en train de couver une grippe H1. J’ai allumé et me suis regardé dans la glace. Ma tête faisait peine à voir. Je ressemblais à Mickey Rourke. J’ai palpé mes membres ; je n’avais rien de cassé.
            J’ai pris une douche brûlante pendant une éternité. J’essayais de ne penser à rien. En tout cas pas à ce que j’avais fait la nuit d’avant et qu’Arnaud avait deviné. J’avais envoyé cette vidéo au commissariat pour la seule raison que c’était plus fort que moi. Je devais le faire. Il fallait que je le fasse. Ma passion pour Mathias ne souffrait aucune demi-mesure. Je n’avais pas été juste désarçonné par son revirement d’attitude envers moi. J’avais été atrocement blessé. Une blessure d’amour irrémédiable, d’autant plus forte que je m’étais refusé à nommer mes sentiments. J’étais amoureux de Mathias. J’étais amoureux de Mathias ! De me le dire et de me le répéter est aujourd’hui une vraie délivrance. Des mots si faciles à écrire maintenant. A l’époque, la haine qui me submergeait était un torrent furieux, qui drainait à la fois mon dégoût pour ce penchant que je trouvais inadmissible, et la frustration de n’avoir pu conserver cette intimité avec lui. Je préférais encore que tout explose.
            Tout cela émergeait de la douche brûlante. Ensuite, j’ai choisi mes meilleurs fringues : un beau pantalon gris, une chemise à rayure et un pull noir très classe. Je me suis installé à la table de la cuisine et me suis servi un bon café en attendant. Ce que j’attendais, c’était que les flics viennent me chercher. Il leur faudrait quelques minutes à peine pour faire le lien entre Mathias et moi. Lui, Arnaud, ou leur propre capacité de raisonnement les mettrait sur ma voie. Cela ne faisait aucun doute et cela ne me dérangeait nullement. J’allais retrouver mon grand frère derrière les barreaux. Enfin seuls. J’étais dans un état d’euphorie courbaturée lorsque j’ai allumé la radio. « Les événements se précipitent dans l’affaire de l’étrangleur des extérieurs » hurlait le journaliste, au comble de l’excitation. J’appelle tout de suite Bernard Andrieux au commissariat central.
-        Oui en effet, Michel, reprend le Bernard. Une incroyable nouvelle vient de nous parvenir, a-t-il dit en mesurant visiblement la grande responsabilité qui était la sienne. Vous savez que Mathias Kindelis, notre confrère de la Radio, a été arrêté hier matin et qu’on le soupçonne fortement d’être l’auteur des meurtres de femme de ces derniers mois.
            Il a pris sa respiration. C’était probablement spécialement pour me rendre fou. Je savais tout ça, je savais tout ça, je savais tout ça, qu’était-il arrivé d’autre ?
-        Et bien j’apprends à l’instant, a-t-il repris avec une lenteur exaspérante, que Mathias Kindelis s’est suicidé ce matin dans la cellule de préventive. Nous ignorons les conditions dans lesquelles ce drame s’est produit. Mais je vous le répète. Il ne fait aucun doute que Mathias Kindelis est mort. Voilà qui risque probablement de clore plus rapidement que prévu ce terrible fait divers.

            J’ai éteint la radio. J’ai pris mon blouson et mon porte-feuille. J’ai claqué la porte, ai descendu à pieds les cinq étages, suis sorti, et ai quitté la ville pour ne jamais y revenir.