Chapitre 6


Je l’ai ouvert…et d’un seul coup j’en ai su mille fois plus sur la personnalité de Mathias Kindelis. Il y avait dans le dossier Double, une multitude de messages, reçus ou envoyés, qui correspondaient à des discussions chaudes qu’il entretenait avec des femmes, membres comme lui du site de rencontre Double. Je n’ai pas immédiatement compris que ces échanges concernaient bien Mathias. Car la langue utilisée par l’homme était très éloignée de celle que j’avais l’habitude de lire sous sa plume. Le Mathias qui s’exprimait sous mes yeux était méconnaissable. Je découvrais une personnalité cachée, un autre garçon qui provenait d’un monde ancien. Mathias parlait à toutes ses femmes dans un langage châtié, celui d’un galant d’un autre siècle. « Gente dame, veuillez souffrir que je dépose à vos pieds ce petit bouquet de compliments. » écrivait-il à l’une. « Croyez en ma sincère admiration devant le raffinement et la beauté qui illuminent la photo que vous avez consentie à m’envoyer. » disait-il à une autre. « Comment pouvez-vous imaginez, belle damoiselle, que mes intentions ne fussent pas d’une pureté cristalline. » plaidait-il auprès d’une troisième.
            A quel jeu jouait-il ? J’étais d’autant plus étonné que je l’avais plutôt entendu se plaindre, au long des semaines, de ces êtres sans cœur qui l’avaient tant fait souffrir. Son divorce semblait l’avoir éloigné des femmes.  C’est du moins ce que je m’étais mis en tête, vu son silence sur le sujet. De sa vie familiale, je ne savais que ce divorce, qui datait déjà, et la présence en filigrane d’une fille, dont j’ignorais jusqu’au nom. Il ne voyait cette dernière que de manière très épisodique, et prétendait que cela ne lui manquait pas plus que ça. Je me dis maintenant qu’il entretenait avec la solitude un rapport quasiment érotique. Il en souffrait mais l’utilisait si souvent qu’elle était devenue une compagne pleine de ressource.

            J’ai passé quelques minutes dans ses pas. Il se faisait appeler Courtisan des îles, probablement en référence à l’île dont il m’avait dit être originaire.
Alors que je commençais à me prendre sérieusement au jeu, j’ai subitement entendu quelqu’un siffler un air de musique. Cela venait du couloir. Je me suis levé d’un bond et me suis précipité au devant de l’intrus.
-       C’est ici la rédaction ?, m’a demandé un homme joufflu qui portait la jaquette réglementaire des reporters de guerre. Une veste qui, à en juger par l’usure, avait bel et bien servi.
-       Euh, quelle rédaction ? Ici c’est le foot, ai-je répondu précipitamment.
            Le gars a éclaté de rire.
-       Ah non, pas vraiment ! Ah moins que vous couvriez les parties de chasse à l’homme de l’autre côté de l’Océan ! ah ah ah.
            Je n’ai rien trouvé à dire. Il a sorti un papier de sa poche et l’a regardé.
-       Ah merde, on n’est pas au 13ème ?
-       Non, vous êtes au 3ème.
-       Ah scusi le footeux, à la revoyure.
            Il avait déjà rebroussé chemin et s’enfonçait de nouveau dans le couloir. Il s’est retourné après m’avoir fait un petit salut, deux doigts sur la tempe. Deux minutes plus tard, tous les ordinateurs éteints, j’étais de nouveau installé à mon bureau et m’étais composé l’air le plus innocent tout en reprenant ma lecture des journaux. Dans ma tête, les questions défilaient.