Chapitre 7


       Ce que je connaissais de Mathias à cette époque était somme toute assez sommaire. Mathias était un homme du Sud. Il avait atterri dans une grande métropole du bord de mer, mais venait en vérité d’une île rocailleuse et mythique, 300 miles plus au sud encore. Il était farouchement fier de ses origines et nous rappelait quand il en avait l’occasion qu’elle était l’un des berceaux de notre civilisation. Moi, je ne m’étais pas trop penché sur la question, mais je ne demandais qu’à le croire.
            Son enfance, il l’avait passée dans cette grande ville qui servait de porte d’entrée pour tout le continent. Il nous peignait avec beaucoup de talent le bazar permanent qui y régnait. « Juste au-dessus du chaos » précisait-il.  Il y avait d’ailleurs poussé comme une herbe folle. Il n’évoquait pas souvent ses parents, mais on devinait une séparation prématurée et une mère qui avait dû se débrouiller comme elle avait pu avec ses trois fistons. Il ne maudissait pas son père  de s’être fait la malle dans ses jeunes années. Et pour cause, le géniteur était retourné dans l’île chérie. Difficile, pour lui, de vénérer la terre et d’exécrer celui qui avait choisi de la retrouver. Mieux, Mathias prétendait que l’homme y avait fait fortune en organisant des séjours de masse, en provenance des pays du Nord. Mathias revendiquait cette réussite par procuration. Il racontait avec force détails humoristiques leur dernière entrevue dans un lieu improbable : un petit port tout au Nord du continent. C’était au cœur de l’été. Le fils y suivait un tour préliminaire de ligue des champions quand le père y était lui pour mettre la dernière main à un accord sur des vols directs, entre la petite bourgade nordique et la capitale de son île. J’imaginais les deux hommes attablés dans un petit restaurant de bord de mer, procédant à l’étude comparative du saumon et des calamars frits, tout en s’extasiant devant la beauté des serveuses….
            L’évocation de sa mère était plus allusive. « Elle m’aimait trop » répétait-il souvent, sans que personne, à part visiblement Arnaud, ne sache véritablement ce que recouvrait cette appréciation. Mais cela devait être suffisamment marquant pour que Mathias ait démarré sa vie amoureuse par des relations, plus ou moins rémunérées, avec des femmes plus âgées que lui. Il était fier de cet apprentissage. Il disait que sa vie ressemblait à un roman de Romain Gary, et estimait que cela faisait de lui un technicien hors pair en matière de plaisir féminin. Pourtant, quand il racontait ses exploits de jeunesse, le même voile de tristesse que je lui avais déjà vu réapparaissait.

Je notais maintenant tous les changements d’humeur de Mathias. Je m’arrangeais pour venir au bureau de plus en plus tôt et allumais directement son ordinateur. Je constatais alors que les fluctuations de son moral coïncidaient exactement avec ses fréquences de connexion à Double. Il devenait nerveux chaque fois qu’il avait décidé de draguer. Le lendemain, c’était le cocktail tristesse et ironie qui faisait son retour. Je me demandais forcément ce qui s’était passé entre-temps.