Chapitre 23


           Mathias m’a tout raconté. Son humeur sombre de ces derniers temps trouvait son explication. Il avait    reçu la première photo quinze jours auparavant. D’abord, m’a-t-il dit, il n’avait rien compris. Il n’avait pas reconnu la femme étendue dans le buisson. Il avait cru à un canular de très mauvais goût, signé d’un lecteur ou d’un auditeur fanatique. Mais dès le lendemain, l’incident avait pris une tout autre importance. Une autre missive, puis encore une le surlendemain, avaient achevé de l’inquiéter. D’autant qu’il avait entre-temps identifié ces femmes qu’il avait serrées dans ses bras.
            Mathias parlait à voix à peine audible. Il avait la bouche tombante et son menton tremblait. Il était un vieux boxeur fourbu. Arnaud ne cessait de lui couper la parole pour expliciter chaque détail de l’histoire. Pour la première fois j’avais l’impression que ce n’était pas Mathias qui entraînait Arnaud mais bien ce dernier qui maternait son chef.
            Quelques jours avant moi, Mathias avait lui-même fait le rapprochement entre ces photos de femmes assassinées et l’étrangleur des extérieurs.
-       Il faut prévenir la police !, l’ai-je coupé.
-       Ah ah ah, bravo petite tête !, a fait Arnaud, sourire mauvais. T’as trouvé ça tout seul ?
            J’ai marqué ma surprise. Il a repris : « Oui, tu crois vraiment que ça va leur plaire, vos petits jeux de vicelards. Tu crois vraiment qu’ils ne vont pas vous trouver un peu louches, ces frères lumières du porno de banlieue, lui avec son froc sur les talons, toi avec ta caméra X. Tu crois vraiment que vous n’avez pas la tronche des coupables idéales, Mathias et toi ?
-       Mais alors ?
-       Je ne sais pas, a soupiré Mathias. Il faut réfléchir. Il faut dormir et réfléchir.
            Réfléchir, on s’y est tout de suite mis, en silence. La décoration du salon était étonnement raffinée pour un footeux. J’en venais presque à me demander s’il n’avait pas loué l’appartement uniquement pour l’occasion. J’étais passé à côté de tant de choses ces derniers temps.

            En pénétrant dans mon antre du dernier étage cette nuit-là, le mot qui m’est venu à l’esprit était « souricière ». Pas pour désigner mon taudis, mais pour cette situation cauchemardesque dans laquelle je m’étais laissé enfermer. Comment avais-je pu en arriver là ? Ma nuit a ressemblé à un gruyère, que je n’ai pu passer qu’au prix de l'ingestion de plusieurs gélules. Toutes les trois minutes, je changeais ma version des faits. Un coup, Mathias était diabolique et me manipulait pour dissimuler ses crimes. Un coup, je m’interrogeais sur le rôle d’Arnaud, dont l’enthousiasme était inversement proportionnel à la noirceur des événements. Un coup, je tentais de me souvenir précisément de ce qui s’était passé les soirs de voyeurisme, et me venait alors un incroyable mal de tête. Un flash blanc, douloureux, me remplissait le cerveau chaque fois que j’essayais de me souvenir de ces femmes. Elles dansaient toutes autour de moi en une sardane morbide dont je ne parvenais pas à m’extraire. Elles revenaient vers moi et me tendaient les mains.
            J’ai passé la nuit à tremper mon pyjama. Je ne voyais aucune issue. Je voyais mes parents et leur petite ville tranquille, ville à laquelle je trouvais désormais toutes les qualités. Elle était mon refuge. Mais il était déjà trop tard.
            Ou trop, tôt.
            Il était 4H30 du matin.
            Le matin du dernier jour.