Chapitre 5


Un matin blanc de décembre, je suis arrivé le premier au bureau. Les journalistes avaient passé la soirée de la veille dans différents stades du continent, à couvrir les chocs entre champions régionaux. Même Isabelle avait eu une permission de grasse matinée. On n’attendait personne avant midi. J’ai débarqué sur le coup des neuf heures et j’ai commencé à parcourir les journaux, puis me suis mis à surfer sur Internet pour préparer la revue de presse que je devais déposer sur les bureaux avant l’arrivée de chacun. Isabelle avait pris peur lorsqu’on l’avait déchargée de cette tâche à mon profit. Du coup, elle n’était plus le soutien souriant et énergique des débuts de mon stage, mais le témoin méfiant de ma modeste ascension.
Après avoir effectué mon tour de l’info de la nuit et avoir imprimé le nécessaire pour tout le monde, j’ai commencé à me promener dans les locaux. Le ciel était bouché, mais il ne pleuvait pas. Un plafond nuageux laiteux. J’avais allumé toutes les lampes. J’ai voulu d’abord inspecter le bureau d’Hervé, le directeur, mais il était fermé à clé. A travers ses vitres, on voyait le fatras du bureau de celui que l’ont m’avait présenté comme alcoolique. C’est-à-dire les abords de sa table de travail parfaitement rangés et les armoires alentour en complet capharnaüm, comme s’il cherchait à repousser ses démons à quelques mètres de lui. Je me suis ensuite dirigé vers le coin maquette. Sur la table blanche traînait un rebus de photos de l’équipe nationale à l’entraînement. Des photos ratées, mal cadrées, floues, représentant indifféremment des inconnus et des joueurs. Aucune n’était publiable, mais il émanait d’elles une vérité, faite de joyeux bordel et de jeunesse mal dégrossie, que l’on voyait rarement dans les journaux sportifs. Je me suis ensuite servi un café à la machine, en consultant nonchalamment le fil des dépêches : florilège de déclarations incendiaires d’après match, et compte rendu d’interventions policières.

Après avoir papillonné ainsi, j’ai fini par me rendre dans cette fameuse « zone mixte », le territoire des journalistes. J’ai ouvert les tiroirs des bureaux, où je n’ai trouvé que des fouillis indescriptibles, des mélanges de carte de visite, de fanion, de porte clé à l’effigie de clubs, de cartes postales avec des femmes nues en provenance de Rio, Bangkok ou Moscou. Ensuite, j’ai allumé les ordinateurs. Chez Arnaud, les photos de ses deux filles occupaient une place prépondérante. Chez Olivier, aucune évidence de pratique sexuelle déviante, si ce n’est ce lot de vidéos porno qu’ils s’échangeaient tous à longueur d’année et que j’avais l’insigne honneur de recevoir désormais. J’ai gardé le meilleur pour la fin : Mathias.

Comme je l’avais fait chez les autres, avant d’éteindre son ordinateur, j’ai parcouru ses mails. Et la surprise m’attendait là, tapie dans les filtres de son courrier. J’ai regardé les intitulés des dossiers sur la gauche. L’un d’entre eux a attiré mon attention. Son nom ne renvoyait pas à des références habituelles de thèmes footballistiques, mais aurait plutôt convenu à un reportage sur le monde du tennis : Double.